Thomas Jolly, metteur en scène des Jeux olympiques de Paris
600 000 spectateurs, 10 500 athlètes, 6km de parcours sur la Seine… Voilà ce qui attend Thomas Jolly l’été prochain. À tout juste quarante ans, le metteur en scène a la (très) lourde tâche d’orchestrer les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.
Comment gère-t-on une telle pression ? Comment Thomas, qui n’avait jamais vécu à Paris jusque-là, relève-t-il le challenge ? Où puise-t-il l’inspiration, et comment parvient-il à dormir la nuit… Rencontre avec Thomas Jolly.
Bonjour Thomas ! Avant toute chose, peux-tu me raconter à quand remonte ta passion pour la scène ?
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu envie de danser, chanter, et m’exprimer sur une scène. Enfant, ma mère m’avait offert un livre de Pierre Gripari, Sept farces pour écoliers, avec sept petites pièces. Je m’amusais à monter toutes les pièces dans ma chambre avec mes amis, en costumes, devant mon miroir. Mais je n’ai pas commencé le théâtre tout de suite, avant il y a eu la danse classique, la musique, la GRS (qui n’était pas ouverte aux garçons à l’époque)…
Au collège, un copain m’avait dit qu’il faisait du théâtre, donc je me suis inscrit avec lui. C’était une compagnie d’enfants, on partait en tournée, avec des séances de notes après chaque filage, des répétitions générales… C’était du sérieux ! J’ai adoré ça.
Le premier spectacle s’appelait Chic et Toque, c’était une histoire autour de deux bandes rivales, un peu dans le genre Guerre des Boutons. Moi j’étais dans la bande des petits-bourgeois, je devais lire deux phrases et j’étais terrorisé. Ma première était nulle ! Mais bon, petit à petit, j’ai eu des rôles un peu plus importants…
Comment en es-tu venu à la mise en scène ?
Ado, je voulais être danseur classique, puis musicien, puis acteur, puis écrivain… Globalement, je voulais écrire des histoires. Quand j’ai démarré dans cette compagnie d’enfants, j’ai trouvé un peu tout ça : on dansait, on chantait, on racontait des histoires…
Là où j’ai eu beaucoup de chance, c’est que je n’ai jamais rien appris d’autre ! Mes parents voulaient juste que j’ai de bonnes notes pour avoir des diplômes, mais ils m’ont beaucoup encouragé dans la voie du théâtre. Après un bac option théâtre, j’ai fait une licence en Arts du spectacle à Caen. Puis j’ai été admis au Théâtre National de Bretagne, à Rennes, dirigé par Stanislas Nordey.
Là, j’ai commencé à avoir envie de créer un monde entier, pas seulement de participer au monde de quelqu’un d’autre. Parce que la mise en scène, c’est quand même ça : mettre la musique que tu veux, les costumes que tu veux, le décor que tu veux, les déplacements que tu veux… C’est un endroit de création quasi absolu !
En 2006, j’ai fondé ma compagnie de théâtre avec des anciens de l’université de Caen et du TNB, et à 24 ans, j’ai monté ma première pièce, Arlequin poli par l’amour, de Marivaux. Ce qui est génial, c’est que le spectacle tourne toujours aujourd’hui !
Te souviens-tu de ta première représentation en tant que metteur en scène ?
Oui ! Le premier spectacle dans lequel je ne jouais pas, c’était Henry IV, de Shakespeare. J’étais très ému, parce que 1 000 personnes regardaient quelque chose que j’avais créé avec mon équipe en secret, et se connectaient à l’œuvre. C’est une drôle de sensation, parce qu’à ce stade, on ne peut plus rien maitriser, la pièce ne nous appartient plus.
C’est un peu une libération, c’est très émouvant d’avoir travaillé des semaines, et à un moment donné, de ne plus pouvoir rien faire : le spectacle appartient entièrement aux équipes techniques, au public et aux artistes.
En plus, la pièce durait huit heures, donc j’étais super stressé, je me disais “ohlala, j’enferme les gens huit heures, j’espère qu’ils vont adhérer !”
Comment as-tu été sélectionné pour orchestrer les cérémonies des JO ?
A l’automne 2021, le Comité d’organisation des JO dévoile l’idée de faire une cérémonie d’ouverture sur la Seine, et le journal L’Équipe m’appelle pour m’interroger. Ils voulaient questionner plusieurs artistes sur ce que leur évoquait l’idée d’une cérémonie sur la Seine. Donc j’arrive à l’interview sans trop de préparation, et je raconte des trucs très spontanés, de façon très libre, sans projections ni enjeux.
Je pensais qu’il s’agissait d’un petit encadré, mais l’article sort quelques semaines plus tard au format d’une double page ! Au mois de mai, je reçois un appel de Thierry Reboul, le directeur des cérémonies à Paris 2024, qui me dit qu’il aimerait me rencontrer suite à ce qu’il a lu dans L’Équipe.
À ce moment-là, j’avais l’habitude d’être appelé pour être consulté sur certains sujets, donc j’y suis allé sans enjeux. J’explique à Thierry Reboul que j’avais pensé que la Seine pourrait représenter ceci, cela… Puis, quelques temps après, je rencontre dans la même veine Tony Estanguet, le président du Comité olympique, puis Anne Hidalgo… Donc là, je commence à me dire qu’il se passe quelque chose !
Et fin août, mon nom a été proposé au Comité International Olympique, et j’ai été choisi à l’unanimité. Mais je ne l’ai vraiment pas vu venir ! Ils m’ont dit “voilà, nous on est d’accord sur ton nom, est-ce que tu veux venir ?”
Le travail est quand même assez titanesque, puisque tu dois imaginer quatre cérémonies : deux d’ouverture et deux de clôture, pour les Jeux olympiques et paralympiques… Par quoi as-tu commencé ?
J’ai commencé par avoir le vertige, déjà ! C’est un événement mondial avec une très forte audience et des enjeux fous, à la fois artistiques mais aussi politiques.
J’ai commencé à m’atteler à la cérémonie d’ouverture, car c’est celle qui arrive en premier. Je me suis d’abord demandé ce que je voulais raconter à travers cette cérémonie. J’ai proposé de commencer le travail avec un groupement d’auteurs et d’autrices, avec qui j’ai travaillé les premiers mois sur l’établissement de ce récit : quel message veut-on porter ?
Nous avons construit la trame narrative en puisant dans l’histoire de France, et la chance que l’on a, c’est que celle-ci est présente tout au long de la Seine : certains monuments évoquent la Révolution, d’autres le 19e siècle… Orsay évoque la peinture par exemple, mais aussi la gare, le chemin de fer… Toute l’histoire se déroule au fil de l’eau, même si elle est dans le désordre.
Le récit a été validé, puis une deuxième équipe est entrée dans la danse, avec laquelle j’ai travaillé sur la traduction artistique de ce récit. Ça a été le fruit de tout le printemps, nous avons alors imaginé notre cérémonie de rêve.
Et là, nous sommes entrés dans la phase rêve vs réalité. Il y a le budget, la sécurité, mais pas seulement : il y a aussi la ville en elle-même, c’est presque de l’urbanisme ! La solidité d’un pont, d’un quai, les espaces sur lesquels on peut accrocher ou non des décors… et la nature. La Seine, c’est un fleuve, il y a du courant, des eaux qui montent et descendent, des poissons qui fraient parce que la biodiversité est de retour dans la Seine, donc on ne va pas aller bousculer ça… C’est tout un alliage passionnant !
Ce qui est assez drôle, c’est que tu n’avais jamais habité Paris avant cela…
Oui, au tout départ, Paris, pour moi, c’était la ville de la sortie scolaire : on allait voir le Louvre, la Tour Eiffel… Quand on est jeune acteur, Paris, c’est un peu le “goal”, c’est là que ça se passe, mais moi, ce n’était pas du tout mon avis.
Je n’ai pas eu la même histoire avec Paris que certains de mes consœurs et confrères de théâtre, parce que je me suis tellement impliqué pour que ma compagnie s’inscrive en région, et propose des choses au public hors Paris, que j’y allais assez peu, en fait.
Moi, je suis un enfant de la décentralisation, je suis pour décentraliser la culture, pour l’égalité d’accès.
La cérémonie sera regardée par plusieurs milliers de spectateurs partout dans le monde… As-tu parfois peur de ne pas être à la hauteur ?
Ah mais ça, c’est un jour sur deux ! Il y a parfois des choses qui se créent de façon tout à fait logique, c’est presque trop simple, et à l’inverse, certaines idées ne fonctionnent pas une fois sur site, et ça remet tout en question.
Après, je pense honnêtement que, sans doute, il n’y a pas de création. Mais il faut que ce soit un doute paisible. Il faut douter, mais en restant serein. C’est normal qu’une idée change et évolue. Je n’ai jamais rien créé en étant sûr de moi, le doute est toujours créatif.
Il y a évidemment des nuits qui ne sont pas sereines, et d’autres oui, mais ce sont les aléas de la création : jamais on ne crée en pleine certitude.
Après les JO, de quoi peut-on rêver professionnellement ?
L’année dernière, j’ai mis en scène un spectacle qui durait 24h d’affilée, et après ça, on me posait déjà cette question.
L’énormité ou la grandeur n’est pas un objectif dans ma vie. C’est passionnant de travailler à ce type d’échelle, car cela demande à réfléchir autrement, mais à chaque projet, ce qui me passionne toujours, c’est de raconter une belle histoire. Qui va porter quelque chose d’autre qu’elle-même.
Est-ce que le prochain projet sera un film, un jeu vidéo - j’adorerais !-, une pièce, un opéra… Peu importe ! Je viens de monter Roméo et Juliette à l’Opéra Bastille, et, chaque soir, j’étais sidéré de voir les gens émus par une histoire que pourtant tout le monde connaît par cœur ! Il n’y aucune surprise, on sait tous que les héros vont mourir à la fin, pourtant on est encore émus.
Et moi, peu importe si c’est un petit spectacle de 100 places ou une cérémonie de 600 000 spectateurs, c’est la puissance du récit qui me guide et me porte.
En attendant les JO, vous pouvez découvrir le travail de Thomas en allant voir Macbeth Underworld, à l’Opéra Comique à Paris, à partir du 6 novembre 2023, ainsi que son formidable Starmania, à partir du 14 novembre à la Seine Musicale, et Fantasio en décembre 2023, à l’Opéra Comique également.
Les recos de Thomas :
Stanislas Nordey fait partie des personnes qui m’ont le plus inspiré. Il a joué un grand rôle dans ma carrière.
J’aime beaucoup le cinéaste Denis Villeneuve. Il a fait tout un tas de films qui sont tous pour moi des chefs-d’œuvres. Premier contact a été pour moi un gros choc. Chaque fois qu’il fait un film j’en ressors estomaqué et hyper inspiré.
Le Magicien d’Oz reste un film constitutif de mon parcours, au même titre que Fantasia, que j’avais regardé enfant. Je devais avoir 4 ans, je l’ai vu au cinéma, mes parents étaient un peu fous de m’avoir emmené voir ça. Je me souviens d’avoir été effaré, et surtout quelle puissance picturale et musicale !
Je suis un fan de toute l'œuvre d’Hervé Guibert, et notamment Le mausolée des amants.