Stéphane Tourreau, explorateur des profondeurs
Il y a quelque temps, j’ai eu la chance d’échanger avec Stéphane Tourreau, 34 ans, vice-champion du monde d’apnée et membre de l’équipe de France.
Au-delà de sa fascination contagieuse pour l’océan, Stéphane m’a fait part de la prise de conscience environnementale qu’avaient engendrées ses différentes plongées, et de la difficulté à vivre de sa passion sans trahir ses valeurs.
Une conversation passionnante, qui va vous donner envie d’enfiler les palmes !
Bonjour Stéphane ! A quel moment as-tu su que tu allais faire de l’apnée ton métier ?
A vrai dire, j’ai pensé assez tardivement à me professionnaliser dans l’apnée. Il faut dire qu’à l’époque, il y avait très peu de sportifs qui arrivaient à en vivre. Mais depuis tout petit, depuis que mon père, chasseur sous-marin amateur, nous a mis à moi et mon frère un masque et un tuba, je me suis toujours senti bien dans l’eau.
C’était le seul moment où je pouvais me sentir vraiment moi, et être libéré d’un monde extérieur où je subissais beaucoup de stress, notamment dans ma scolarité. C’était un moyen pour moi de me retrouver, je crois.
La passion de l’apnée m’est venue en Corse, à dix ans, quand j’ai plongé pour la première fois. Je me souviens encore de cette sensation de ne pas ressentir l’envie de respirer, d’être en apesanteur… L’eau avait 25 mètres de visibilité, c’était assez incroyable, il y avait des poissons partout, je voyais cet univers, là, devant moi, et j’avais juste envie d’aller voir encore plus profond, c’était magnifique !
Qu’est-ce que tu ressens quand tu plonges en apnée ?
Au tout début, en apnée, on tient quelques secondes pendant lesquelles on n’éprouve pas le besoin de respirer, on est dans un état de bien-être absolu. Je pense que c’est cette sensation de liberté qui rend addict. Inconsciemment le corps dit “merci” car il peut apprendre à se relâcher.
Il n’y a rien de plus fluide que l’eau, en plus c’est un élément incompressible, donc on est obligés de se détendre complètement quand on plonge. Quand on découvre cette sensation de lâcher-prise dans l’eau, on a envie d’une seule chose, y retourner.
Comment as-tu vécu le fait de passer d’amateur à professionnel ?
À 19 ans, on m’a sollicité pour développer l’activité d’apnée sur Thonon-les-Bains, d’où je suis originaire.
J’ai commencé à développer l’activité dans le département, puis j’ai été sollicité sur Annecy à l’âge de 20 ans pour former des plongeurs à l’apnée, afin qu’ils puissent l’enseigner à leur tour. C’est là que l’idée de vivre un jour de l’apnée a germé dans ma tête.
Le problème de l’apnée, c’est que c’est un sport qui n’est pas reconnu, donc on ne bénéficie pas d’aides de l’état, il n’y a pas de sport-études comme dans les autres disciplines. C’est à nous, sportifs, de trouver des financements privés.
Donc j’ai commencé à faire des petits boulots, à me former à la plongée bouteille, à donner des cours en parallèle. En 2011, j’ai été sélectionné en équipe de France, et mes perspectives professionnelles ont commencé à se préciser. Mais ça a été 5 ans de galères financières avant de parvenir à mon objectif !
J’ai été obligé de me former au démarchage de sponsors, à la communication… Ce n’est qu’une fois qu’on arrive à avoir des sponsors, à commencer à en vivre, qu’on se dit “ça y est, je vais pouvoir me consacrer à l’entrainement”.
Normalement, à la fin de leur carrière, les sportifs de haut niveau se reconvertissent dans autre chose. Nous, en apnée, c’est l’inverse, on doit d’abord se former au marketing, à la communication, avant de pouvoir commencer notre carrière !
Est-ce que plonger t’as rendu plus sensible à l’impact de l’homme sur l’environnement ?
En plongée, nous sommes les témoins directs de la dégradation de l’environnement. Quand je suis retourné sur les lieux de ma première plongée en Corse, en 2017, je gardais en tête cet émerveillement face à toutes ces espèces de poissons. Sauf qu’en 2017, il n’y en avait plus ! J’ai eu beau les chercher, ils avaient disparu.
Le véritable choc a eu lieu lors d’une plongée au Honduras. Nous avions été amenés par un pêcheur sur une zone où il y avait des requins, pour les observer. D’abord, nous nous sommes rendu compte que les pêcheurs les nourrissaient pour les faire venir, ce qui nous a passablement agacés. Sur place, tous les plongeurs étaient alignés à les regarder, comme au théâtre, c’était assez écœurant, on se serait cru dans une dystopie.
Pour finir, pile au moment où nous sommes remontés à la surface, une énorme vague de plastique nous est arrivée dessus. Entre ce que j’avais vu sous l’eau, avec tous ces plongeurs qui regardaient les requins comme au spectacle, et la surface, où nous nagions dans les déchets humains, ça m’a fait comme un électrochoc. L’humain était partout.
En France, on voit moins la pollution en pleine eau, c’est surtout sur les plages qu’elle est présente, mais quand on se déplace, on s’aperçoit que nos déchets sont expédiés chez les autres… Ce sont malheureusement les pays pauvres qui paient le tribut de tout ça, car eux n’ont pas de systèmes de traitement des déchets.
Que fais-tu, à ton échelle, pour lutter contre la dégradation de l’environnement ?
Je me suis engagé auprès de diverses associations, dont la Water Family, avec laquelle j’interviens dans les classes pour sensibiliser les jeunes à la protection des océans, et aussi à celle de l’eau “invisible” : celle qui est utilisée pour fabriquer nos objets du quotidien, les ordinateurs, les téléphones…
Je fais aussi beaucoup de petites vidéos de ramassage de déchets quand je suis en déplacement, cela permet d’impliquer les locaux, et de les sensibiliser à ce qu’il se passe.
Il y a un peu plus d’un an, nous étions en déplacement à Mayotte, et nous avions commencé à ramasser les déchets, car les plages en sont recouvertes. Spontanément, de jeunes Mahorais sont venus nous aider. C’était très émouvant, ça m’a beaucoup touché.
Je crois beaucoup en la sensibilisation des enfants, ce sont les enfants d’aujourd’hui qui influenceront les gouvernements de demain. Quand il s’agit de changer ses habitudes de vie, un adulte met du temps, alors que chez un enfant, c’est instantané, et en plus, il peut faire changer ses parents !
N’est-ce pas difficile de concilier sport de haut niveau et respect de l’environnement, quand on sait que les compétitions engendrent beaucoup de déplacements… ?
Si, bien sûr, surtout que pour gagner notre vie, il faut que l’on puisse continuer à faire de la compétition, donc c’est un peu le serpent qui se mord la queue.
J’essaie de limiter ou de regrouper mes déplacements à l’international, c’est-à-dire de partir une bonne fois pendant trois ou six mois, afin d’éviter les allers-retours. Dès que je le peux, je prends le train, je ne prends jamais de vols internes…
Après, j’essaie de profiter de ces voyages et de l’exposition médiatique que l’on a en tant que sportif de haut niveau pour communiquer au maximum sur ces sujets, sensibiliser les plus jeunes, et impliquer les locaux. J’essaie de tirer parti de mes voyages pour montrer ce qui se passe ailleurs, et que tout le monde ne peut pas voir, sur les plages des Caraïbes, de Polynésie…
Pour découvrir les vidéos de Stéphane et suivre son actualité, c’est par ici.
Pour en apprendre plus sur les actions menées par la Water Family, c’est là !
Les recos de Stéphane :
Le pouvoir du moment présent, d’Eckhart Tolle, un livre sur l’importance de l’état de présence et la quête humaine qui fut une révélation pour moi
I Origins, un superbe film de Mike Cahill sur le voyage de l’âme !
Bonne nouvelle, Les Belles Personnes a enfin son compte Instagram dédié ! N’hésitez pas à le suivre :)