Stella, entrepreneuse philantrope
C’est en cherchant à dénicher de nouvelles adresses gourmandes (ma passion), que je suis tombée sur Stella. Ou plus exactement, sur Efkeria, son projet de café/cantine solidaire dans le 10e arrondissement parisien. Je dis projet, car, pour l’instant, Efkeria n’est encore qu’une vitrine, recouverte d’un joli patchwork d’affiches colorées, annonçant l’ouverture prochaine.
Est-ce la couleur pastel, les illustrations crayonnées… Aucune idée, toujours est-il que le teasing a fonctionné : à peine rentrée chez moi, j’ai cherché à en savoir plus sur ce drôle de QG. Je découvrais alors que, loin de n’être qu’une cantine locavore dans un quartier qui en compte déjà beaucoup, Efkeria était un vrai projet bienveillant, solidaire et philantrope. L’aboutissement d’une belle histoire de transmission, que m’a raconté Stella, la fondatrice solaire d’Efkeria.
Bonjour Stella ! Pour commencer, qu’est-ce exactement qu’Efkeria ?
Efkeria est un lieu de vie centré sur l’humain, à la fois café-cantine, épicerie, et espace pop-up. À travers Efkeria, je souhaitais nourrir au sens large du terme : nourrir le corps, en permettant aux clients de manger sur place ou d’acheter de bons produits d’épicerie, et nourrir l’âme, en ouvrant le lieu à des pratiques holistiques comme le yoga, en organisant des talks sur des sujets inspirants, en rencontrant d’autres personnes…
Que signifie le nom “Efkeria” ?
J’ai des origines espagnoles par ma mère, et grecques par mon père. Efkeria, cela veut dire “seconde chance”, “opportunité”, en grec. Cela fait à la fois écho à la boutique, que j’ai récupérée pour lui donner une seconde vie, au mobilier, qui provient entièrement de récup’ ou de seconde main, et au volet social, puisque chez Efkeria je vais travailler avec des personnes en insertion, à qui il s’agit en quelque sorte de leur donner une seconde chance.
Comment en es-tu arrivée à créer ce lieu ?
C’est une longue histoire ! Il y a eu plusieurs petites graines de semées, qui ont mené à la création d’Efkeria.
Mes parents étaient fourreurs, ils ont travaillé pendant plus de 30 ans dans ce quartier, qui, historiquement, était le royaume de la fourrure et du cuir. Mon père avait son atelier rue d’Hauteville, et ma mère, la boutique rue de Paradis. Donc cette boutique, c’est un peu ma deuxième maison ! Nous habitions en proche banlieue, mais nous passions notre temps à la boutique avec ma soeur. Même si mes parents n’ont jamais été propriétaires des murs, j’avais toujours eu en tête qu’il fallait qu’on la garde.
L’autre petite graine, c’est l’entreprenariat. Mes parents sont entrepreneurs, et cela m’a beaucoup inspirée, j’ai toujours eu au fond de moi l’envie de me mettre à mon compte.
Enfin, la dernière pièce du puzzle est le volet social. J’ai travaillé pour les Restos du Coeur pendant 7 ans. Quand l’aventure s’est terminée, je souhaitais vraiment continuer ce que faisaient les Restos, mais à ma toute petite échelle. Je voulais faire un lieu ouvert au public, qui rassemble les gens, et dont le dénominateur commun est l’humain.
Comment ton expérience aux Restos du Coeur t’a-t-elle aidée à lancer ton projet ?
Les Restos du Coeur ont été une expérience incroyable. A la base, j’ai fait des études en communication, j’ai commencé dans les cosmétiques. Ça ne me convenait pas du tout, et en 2012, je suis partie.
J’avais déjà en tête de monter un projet dans le service à la personne, mais je ne savais pas vraiment comment m’y prendre. J’avais prévu de m’inscrire dans un incubateur spécialisé, quand je suis tombée sur une petite annonce des Restos du Coeur, qui recrutait quelqu’un en communication. J’ai postulé, et j’ai eu le boulot.
Lors de l’entretien, j’ai rencontré Véronique Colucci, l’ex-femme de Coluche. Elle m’a énormément transmis pendant toutes ces années, et je me suis investie corps et âme dans les Restos du Coeur. Quand elle est décédée, le climat a un peu changé, j’avais l’impression qu’on perdait de vue la cause et je me suis retrouvée à être la seule salariée du service. Je me battais pour défendre les valeurs que Véronique m’avait inculquées, mais, finalement, je me suis épuisée. J’ai fait un burn-out.
Suite à cela, j’ai réalisé qu’il fallait que je me préserve. Cette idée de vouloir construire mon propre projet a refait surface. J’avais envie d’ouvrir un lieu public, café ou autre, et de continuer dans le social. J’ai donc enfin fait ce programme d’accompagnement auquel j’avais voulu m’inscrire en 2012, et le timing a fait que cela a coïncidé avec le départ en retraite de mes parents.
Avec le recul, je pense que je n’étais probablement pas assez mûre avant les Restos du Coeur pour me lancer à mon compte. Cette expérience m’a énormément apporté, humainement et professionnellement.
Comment s’est alors passée la transition entre la boutique de tes parents et Efkeria ?
En m’inscrivant à l’ADIE, le fameux programme d’accompagnement, j’avais une idée vague de ce que je voulais faire. En sortant, j’avais un business plan ! C’est là que j’ai trouvé le nom du projet, le concept…
Sur ce, le Covid est arrivé, ce qui a un peu déréglé les plans de mes parents. Ils avaient encore quelques petites commandes à produire pour Hermès, mais ils n’étaient déjà plus à temps plein à la boutique. En attendant de pouvoir lancer Efkeria, j’ai créé un Locavor, c’est un peu comme une Ruche qui dit Oui. Je mettais en relation consommateurs et producteurs locaux, et les gens venaient récupérer leurs commandes en fin de semaine à la boutique.
J’ai trouvé comme ça pas mal de producteurs, parisiens ou franciliens, qui fabriquaient des confitures, du chocolat, de l’artisanat d’art… Lancer cela m’a permis de m’ancrer dans le quartier, de rencontrer tous les commerçants, les habitants…
Je ne l’avais pas du tout pensé de façon stratégique, mais il s’avère que ça a été une très bonne transition entre le business de mes parents et le lancement d’Efkeria.
Concrètement, quelle est la vocation d’Efkeria ?
Les ingrédients premiers de ce projet étaient la récupération du local, le fait que je voulais ouvrir un lieu public, et faire de l’insertion. Je ne le mets pas trop en avant, car les gens se font souvent une fausse idée de l’insertion. Déjà, ils confondent insertion et réinsertion, après une sortie de prison par exemple.
Et je n’ai absolument rien contre, tout le monde a droit à sa seconde chance, mais en l’occurence, chez Efkeria, le personnel qu’on emploiera sera vraiment le même public que l’on accueillait aux Restos du Coeur.
Des gens qui sont tombés dans une grande précarité suite à des accidents de vie, et qui n’arrivent pas à retrouver un boulot parce qu’ils n’ont plus confiance en eux, et qu’ils ne savent plus comment s’y prendre.
Comment comptes-tu les accompagner dans leur retour à l’emploi ?
Si tout va bien, je pense pouvoir embaucher des gens en insertion à partir de septembre. C’est moi qui rechercherait les profils, mais je serai en relation avec une branche spécifique de Pôle Emploi, et avec des associations qui me mettront en relation avec ces profils-là.
Il y aura aussi un encadrant technique sur place, en l’occurence la cuisinière, ma seule salariée pour l’instant. Je devrais aussi embaucher un chargé d’insertion, qui s’occupera de l’accompagnement psychologique, car il s’agit de personnes souvent fragiles, qui n’ont pas travaillé pendant très longtemps. Il faut leur réapprendre à respecter des horaires, un rythme de travail, à se concentrer…
A terme, j’aimerais qu’il y ait plusieurs personnes en insertion chez Efkeria, qui soient polyvalentes sur les missions : cuisine, barista, vente, épicerie, logistique…
Cela leur permettrait à la fois d’acquérir des compétences variées, et de déterminer ce sur quoi ils sont le plus à l’aise, afin d’avoir un maximum de choix pour retrouver un emploi ensuite et se réinsérer durablement.
Côté clients, que pourra-t-on faire chez Efkeria ?
Au rez-de-chaussée, il y aura la partie café-cantine, qui proposera une cuisine que j’appelle “simple”, faite à partir de fruits et légumes de saison : des sandwichs, des salades, des pâtisseries, des scones le matin… Il y aura aussi à la carte deux petits clins d’œil a mes origines grecques et espagnoles : des empanadas, et des tiropitas grecques, que nous adapterons avec des produits de saison.
Ma mère est de Galice, et là-bas, on sert les empanadas dans de grands plats rectangulaires, dans lesquels on taille directement des parts, c’est délicieux ! Quand aux tiropitas, ma grand-mère les faisait divinement bien, avec la pâte filo faite maison, ce qui est un vrai challenge !
Il y aura aussi un espace épicerie, avec des produits en circuit court, sourcés auprès de producteurs engagés et responsables. Je privilégierai le local, mais il est déjà prévu que quelques produits grecs et espagnols squattent de temps en temps les étagères !
Enfin, à l’étage se trouve un espace que j’appelle le “pop-up”, que je souhaite mettre à disposition pour toutes sortes d’activités holistiques : des cours de yoga, de respiration, de méditation… On peut aussi imaginer des ateliers, des talks, des séances coworking… L’idée c’est de rassembler les gens, de susciter des rencontres, et créer du lien.
Qu’est-ce que t’a appris le fait de te lancer dans l’entreprenariat ?
Tout ce que je fais actuellement avec Efkeria, ne sont que des choses que je ne maitrise pas. J’ai fait une formation de barista, j’ai appris les rudiments de la restauration pendant le Covid en refaisant une petite formation via un autre incubateur… donc c’est hyper intéressant. Je me dis que si jamais Efekria ne marche pas, de toute façon ce ne sera pas un échec, car j’aurais appris tellement de choses !
Même le fait de récupérer un vieux local, de tout rénover… Souvent, mes potes me disent : « mais pourquoi tu te prends la tête avec ce lieu, prends un fond de commerce avec une cuisine, ce sera tellement plus simple ! » Mais ce serait oublier tout le volet sentimental du lieu.
L’entrepreunariat m’a aussi appris à ne pas avoir honte de parler d’argent. Lors du premier incubateur que j’ai fait, nous n’étions que des femmes, et nous avions beaucoup de mal à parler de ça. Alors que ça n’a rien de “sale”, c’est normal quand on se lance dans l’entrepreunariat d’avoir besoin d’argent !
Comment imagines-tu Efkeria dans quelques années ?
Mon objectif n’est pas de devenir millionnaire. Le but, pour moi, c’est que ça fonctionne : que je puisse embaucher des personnes, que je puisse payer mes factures et continuer à prendre du plaisir dans ce que je fais. J’ai envie de faire quelque chose de petit, qui reste à taille humaine.
Et si j’ouvre un jour une deuxième adresse, au Pays basque ou en Grèce par exemple - j’y pense souvent-, il faudra que ça reste un plaisir, et non que ça devienne une contrainte. Enfin, déjà, je vais essayer d’ouvrir dans les temps, d’ici l’été si tout va bien !
Pour suivre les aventures de Stella, c’est ici. Si tout va bien, rendez-vous chez Efkeria d’ici l’été, au 2 rue de Paradis !
Les recos de Stella :
Le Refettorio, un restaurant solidaire créé par le chef Massimo Bottura, qui accueille des personnes dans le besoin. Cet endroit regroupe tous les attributs indispensables à la vie : le respect, la générosité, la bienveillance, le partage, l’amour sans conditions. J’y vais de temps en temps pour faire du bénévolat, à chaque fois j’en ressors nourrie de toutes ces belles énergies.
La loi de l’attraction, de Luc Bodin, Les vertus de l’échec, de Charles Pépin, et Foutez vous la paix !, de Fabrice Midal. Des bibles, à lire et relire, qui m’ont beaucoup apporté à un moment où j’avais besoin d’évoluer, de mieux me connaitre, et mieux comprendre le monde qui m’entoure.
Tous les épisodes du podcast Génération XX, qui ont été une réelle inspiration pour moi au moment où je commençais à planter les graines d’Efkeria.
Une inspiration plus qu’une reco : ma rencontre avec Véronique Colucci, qui m’a accueillie aux Restos du Cœur, m’a tant appris et beaucoup protégée. C’est une chance de l’avoir rencontrée, et encore aujourd’hui elle m’inspire au quotidien.