Pour introduire cette toute première newsletter, j’ai eu envie de vous parler de Marion Graux, potière à Paris. J’ai interviewé Marion il y a quelque temps déjà, dans son superbe atelier du 9e arrondissement parisien, et sa personnalité m’a profondément marquée.
Avec Marion, nous avons parlé d’artisanat, bien sûr, mais aussi de son ancienne vie de styliste freelance, et de la difficile conciliation entre entreprenariat et maternité. Un échange passionnant, entre bouquets de fleurs fanées et assiettes en train de sécher.
Bonjour Marion ! Pour commencer, peux-tu me raconter comment tu es devenue potière ?
A l’origine, j’ai fait des études de mode, mais je n’ai jamais exercé. J’aimais les matières, les couleurs, mais je n’aimais pas du tout jouer avec les tendances. J’ai d’abord été stagiaire styliste chez ELLE - dans les pages déco, donc ça m’a beaucoup plu. Puis je me suis mise à mon compte, et je suis devenue pigiste en stylisme décoration, mais c’était dur.
Je garde de ces années le souvenir de ne pas me sentir à la hauteur, d’avoir du mal à comprendre ce qu’on attendait de moi… Je n’ai jamais eu l’impression que pigiste était mon vrai métier, que c’était là où je voulais arriver.
En 2008, la crise est arrivée et j’ai perdu deux gros clients. Je me suis dit que c’était le moment ou jamais de tenter autre chose. J’avais toujours fait un peu de céramique en loisir à côté, et d’un coup, j’ai entrevu la possibilité une autre vie : être en tablier toute la journée, la radio allumée…
J’ai passé mon CAP, puis je me suis formée au tour auprès d’Augusto Tozzola, et à la technique de l’émail auprès de Delphine Scalbert. Et le reste s’est un peu déroulé tout seul ! Je n’ai pas eu l’impression de changer de vie, mais le jour où ça a commencé, je me suis dit « ça y est, je suis au bon endroit ».
Qu’est-ce que tu aimes dans ton métier ?
Je travaille mes pièces comme on travaille l’écriture. La façon dont on écrit est naturelle : quand on apprend à écrire, on s’applique, puis l’écriture finit par couler naturellement, et elle est unique à chacun.
C’est ça qu’il faut trouver. C’est ce qui fait que les pièces vont dégager une certaine âme, elles ont été faites avec quelque chose de la personne. C’est la justesse du geste qui va en faire un objet stable, fiable. Dans chaque étape de la création, il s’agit d’être au plus juste.
On reste dans une vaisselle très brute, mon credo, c’est de dire que les objets que je fabrique doivent aller aussi bien dans une ferme que dans un appartement à Paris. J’ai un apprentissage très paysan : j’ai appris chez des potiers de campagne ce qu’était une tasse, l’élémentarité de la forme.
Tu t’intéresses particulièrement à l’art de la table, d’où cela te vient-il ?
Je suis complètement obsessionnelle sur cette question de la table et du repas : à la fois parce que c’est trois fois par jour, c’est le quotidien, c’est ce qui nous nourrit ; et à la fois parce que c’est à table que tout se passe, du rendez-vous amoureux aux fêtes de familles… Ça draine un paquet de tableaux de vie.
On met la table, il n’y a encore personne… et d’un coup, ça s’anime, le sang s’engouffre dans les veines, et ça me plaît d’être là, d’être à cet endroit-là.
Depuis que je suis toute petite, j’aime dresser la table : nappe, ou pas ? Quelles assiettes ? Quels couverts ?
Je n’ai jamais su dessiner, et pour autant, depuis toute petite j’ai besoin de raconter des petits tableaux. Avec l’art de la table, j’ai trouvé un autre moyen de raconter des histoires. Je ne suis pas sûre que les autres les entendent d’ailleurs, mais tant pis, je me les raconte à moi !
Comment travailles-tu ? Fournis-tu des restaurants ou t’adresses-tu plutôt à des particuliers ?
Je travaille essentiellement pour les restaurants, mais pas seulement. En général, je rencontre les chefs, et selon les endroits, on adapte une proposition de vaisselle.
Depuis un an et demi, on a développé avec mon mari toute une gamme à partir des cinq formes principales de l’atelier, dont on a fait des moules, et qui sont ensuite produites en série à la Manufacture de Digoin.
Le savoir-faire est artisanal, l’émaillage se fait à la main, les gestes sont exactement comme ceux que j’ai à l’atelier.
Cela a permis de répondre à la demande, et ça nous permet d’aller vers des couleurs que j’ai pas encore eu le temps de travailler à l’atelier, comme le vert, l’ambre…
Il y a quelque chose d’assez vertueux à travailler avec une manufacture qui n’est plus dans son heure de gloire, mais qui, malgré tout, tient bon et existe encore. C’est un endroit magnifique, qui nous va bien, les intentions sont les mêmes sur toutes les pièces, qu’elles soient faite là-bas ou ici.
Que penses-tu du retour en grâce de la céramique ces dernières années ?
Tant mieux si la mode de la céramique remet les ateliers en ville, mais il y a quand même un gros gap entre le fantasme et la réalité du métier : c’est un métier très dur, physique, chronophage, ça demande un nombre d’heures dément !
On crée des pièces qui nécessitent un suivi sur plusieurs jours, donc on ne peut pas se dire “ok, je commence ça mercredi, et je fais un break le weekend”.
Personnellement, je n’arrive pas à lâcher. C’est mon oxygène, je ne me vois pas du tout enfermée à la maison, à m’occuper des enfants toute la journée. J’ai fait des enfants tard, donc j’ai développé une grande liberté… Et aujourd’hui, c’est très dur de revenir en arrière.
Mon équilibre s’est construit avec cette activité, ce sont de vraies questions d’entrepreneuriat et du féminin. Quand on est femme et cheffe d’entreprise, nécessairement, gérer les enfants passe par une armada de nounous, il faut accepter de s’exposer à certains regards. On m’a souvent dit “mais pourquoi tu paies des nounous pour faire ce que tu pourrais faire toi ?”
Mais, aujourd’hui, j’en ai la conviction, jusqu’à la fin de mes jours, la céramique ne me quittera pas. Il y a trop de possibilités pour arrêter un jour….
Les pièces de Marion Graux sont à retrouver sur son eshop, ou directement à son atelier, 46 rue de Dunkerque, 75009 Paris
Pour ceux qui souhaiteraient découvrir l’art de la céramique, Marion ne donne malheureusement pas de cours, mais vous pouvez vous initier avec Corentin Brison, autre céramiste passionné, dans son atelier du 10e arrondissement.
Les Recos de Marion :
Certains podcasts de France Culture et France Inter, que j’écoute en faisant du tour : LSD, A voix nue, L'Heure bleue…
Et aussi Ceux qui nous lient, le podcast de Camille Brachet, qui croise le monde des arts avec celui de la gastronomie
Quelle jolie interview ! Heureuse d’avoir découvert l’histoire et le travail de cette potière passionnée :)