Marie-Laure Fréchet, ambassadrice de l'alimentation durable
Cela faisait un bon moment que j’avais envie de m’entretenir avec la journaliste culinaire Marie-Laure Fréchet. Depuis que j’avais entendu parler du festival “Mange, Lille !” plus exactement, qu’elle a co-créé voilà déjà presque dix ans. Journaliste culinaire, auteure, militante, organisatrice d’événements… il est difficile de mettre Marie-Laure Fréchet dans une case, et c’est bien là ce qui m’a attiré dans son parcours.
Nos agendas parisiano-bordelais-lillois étant ce qu’ils sont, c’est finalement par téléphone que j’ai pu échanger avec elle. Ensemble, nous avons parlé du cheminement personnel et professionnel qui l’a conduit à faire de l’alimentation durable son cheval de bataille, mais aussi de la difficile résolution du problème de l’éducation alimentaire, des questions qu’on ne se pose pas assez en cuisine, et de l’évolution de la scène culinaire lilloise.
Une discussion passionnante, qui, je l’espère, vous donnera envie de cuisiner “maison” !
Bonjour Marie-Laure ! Vous êtes journaliste culinaire, auteure de différents ouvrages autour du fait maison et de l’alimentation durable… Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à ce que l’on mange ?
J’ai toujours aimé manger, et, surtout, j’ai toujours eu la chance de bien manger, parce que j’avais une maman qui cuisinait. Je ne mangeais jamais à la cantine, tous les midis j’avais un plat cuisiné qui m’attendait à la maison. Cela m’a sûrement sensibilisé à la cuisine « ménagère », au sens noble du terme -la cuisine faite maison.
Après, mon intérêt pour l’alimentation durable découle plus d’un cheminement que d’une révélation. J’ai commencé à m’intéresser à la cuisine quand je travaillais pour le supplément Art de vivre de La Voix du Nord. On m’avait alors contactée en parallèle pour écrire un livre sur les estaminets en Flandres. A l’époque, personne ne s’intéressait à cette région, alors que je trouvais que c’était un terroir formidable. Quand j’ai quitté La Voix du Nord, en 2007, j’avais très envie de continuer à raconter cette gastronomie. Je suis donc allée taper à la porte du magazine Saveurs, avec des sujets 100% Nord, et ça a marché !
Au fil des années, j’ai eu envie de remonter aux sources de la gastronomie, de mieux la comprendre, et je me suis intéressée à l’alimentation durable.
Pouvez-vous me parler de la naissance de l’aventure “Mange, Lille !” ?
Quand j’étais chez Saveurs, j’ai retrouvé en parallèle un camarade de promo, Luc Dubanchet, qui était alors à la tête du festival Omnivore. J’ai commencé à présenter les chefs au festival, puis je les ai accompagnés lors du World Tour d’Omnivore… C’est probablement ça qui m’a donné envie de créer “Mange, Lille !”
Pour situer les choses, “Mange, Lille !” est arrivé l’année après que Florent Ladeyn ait fait Top Chef. Jusque-là, la scène gastronomique du Nord se résumait au chef Alexandre Gauthier, que la presse parisienne avait repéré, mais c’était l’exception : on passait voir Alexandre Gauthier, puis on filait en Belgique ou au Danemark, mais on ne traversait pas le Nord.
Arrive alors Florent Ladeyn, ce garçon super charismatique, talentueux, qui ne parle pas avec un accent ch’ti, et les parisiens commencent à se dire « il se passe peut-être quelque chose ».
Avec mon binôme de l’époque, on a eu envie d’accompagner ce renouveau culinaire de la région, de lui donner une visibilité. Donc on a créé les événements auxquels on aurait aimé assister.
En quoi consiste exactement le festival ?
Au début, nous l’avons fait de façon très spontanée, on s’est dit « on va faire un dîner avec des chefs ». On s’est trouvé un nom, un logo… Mon frère, architecte, nous a construit un long comptoir derrière lequel les chefs ont cuisiné. Pour le deuxième dîner, on avait choisi le thème de la pomme de terre, pour faire un pied de nez aux clichés. Puisqu’on était considérés comme des « mangeurs de patates », on allait leur montrer !
Nous avons “improvisé” comme ça, un, puis deux, puis trois événements… jusqu’à un grand pique-nique que nous avions organisé dans un jardin public de Lille, où on s’est retrouvé avec 3000 personnes. C’est là où on s’est dit qu’il fallait qu’on formalise un peu les choses, et nous avons décidé de créer le festival.
Avant le Covid, cela s’étalait sur une semaine, en septembre. Nous proposions des repas à quatre mains dans des restaurants, un grand événement festif dans un espace public de Lille, avec des producteurs et des chefs, qu’on appelait « le grand marché », des restos éphémères dans des lieux insolites… En parallèle, nous mettions en place une opération dans les cantines scolaires, un concours de cuisine…
Mais combien étiez-vous pour gérer tout ça ?
Deux ! Nicolas et moi. Enfin, pendant les événements, nous avions des bénévoles, heureusement, mais sinon, la conception et la réalisation reposaient principalement sur nos épaules.
L’événementiel n’étant pas notre métier de base, on faisait tout en associatif, quand on avait le temps, en parallèle de nos boulots. Nous avons fait cinq éditions avant le Covid, la 4e étant la plus folle ! Elle nous a pris six mois, on est sortis rincés !
Puis Nicolas a souhaité arrêter, donc j’ai reconstitué un bureau, avec l’idée de faire deux festivals par an, histoire de mettre la barre encore plus haut ! Et le Covid est arrivé.
A quoi ressemblera le “Mange, Lille !” post-covid ?
J’y ai beaucoup réfléchi. Déjà, je me rends compte que le panorama gastronomique de Lille a changé, il y a beaucoup de food courts, il s’y passe plus de choses, donc on n’a plus forcément besoin d’être dans l’hyper festif, la street food… Parce que ça, ça y est, les Lillois l’ont. On réfléchit à un “Mange, Lille !” 2.0, qui accompagnerait des choses plus ancrées, peut-être moins dans le festif.
Je cherche un format qui aurait plus de sens, qui va aussi avec ma démarche de journaliste et mon intérêt pour l’alimentation durable. D’où le prix “Mange, Livre” créé il y a cinq ans, lors duquel un jury de chefs récompense un livre de réflexion sur l’alimentation.
En 2023, ce sera les dix ans de “Mange, Lille !” donc à voir si on fera quelque chose, je ne sais pas si ces grands raouts ont encore du sens aujourd’hui… En tout cas “Mange, Lille !” a mûri et va se transformer, c’est sûr.
En parallèle du festival, vous écrivez aussi des livres, dont votre dernier ouvrage, Encyclopédie de l’Alimentation durable, paru fin 2021. Comment vous est venue cette idée ?
Ça fait 3-4 ans que j’ai commencé à écrire des livres. La série des Encyclopédies a commencé avec le pain. J’ai commencé à m’y intéresser à la fois en tant que journaliste, et puis sous le prisme du « fait maison », que je revendique dans toutes les Encyclopédies : la possibilité de faire les choses soi-même. Ça a d’ailleurs explosé pendant le confinement, mais ça, je ne le savais pas au moment où j’ai écrit ce livre !
Dans cette première encyclopédie j’ai mis à plat le sujet du pain dans toute ses dimensions : fermentation, farines, etc… Après, j’ai eu envie de pousser le sujet avec la viennoiserie, et maintenant il faudrait que je m’attaque à la pâtisserie, car il y a des choses à dire !
L’Encyclopédie la plus récente, celle de l’Alimentation durable, s’inscrit vraiment dans le prolongement de mon travail sur le pain. En travaillant sur le pain, je me suis aperçu que celui-ci pouvait être très bon pour la santé comme très mauvais, qu’il ne s’agissait pas seulement d’une histoire de farines, mais de variétés de céréales, de modèles agricoles…
Et je me suis dit que ce serait intéressant de passer au même crible tout ce qu’on mange et ce qu’on boit, tout simplement.
Quel message souhaitez-vous délivrer à travers cette Encyclopédie ?
Mon ambition avec cette Encyclopédie, c’était que le consommateur soit éclairé, autonome, et qu’il soit à même de choisir son alimentation. Qu’il comprenne ce qu’il achète, qu’il sache lire une étiquette, ou en tout cas qu’il se questionne. Ce n’est pas un livre d’injonctions où on lui dit « ne faites pas ci, ou ça ». J’expose comment ce qu’on mange est produit, ou élevé, pour qu’après, il puisse acheter en conscience.
Pour moi, ce livre est un peu l’équivalent des manuels ménagers qu’avaient nos grands-mères, des petits livres pratiques, où on expliquait comment faire son marché, comment ne pas gaspiller, comment conserver ses aliments… Aujourd’hui, il suffit de descendre en bas de chez soi ou appeler Uber pour remplir son frigo, on a complètement perdu ce sens-là.
Donc j’essaie de réexpliquer ça, mais en le voyant de façon joyeuse, à travers plein de questions que je me posais à titre individuel : est-ce bon de cuisinier avec son micro-ondes ? Comment lire l’étiquette d’une bouteille d’huile d’olive ? Combien de temps peut-on conserver quelque chose au frigo ? J’ai beaucoup appris en préparant ce bouquin !
Le format est assez conséquent, ne craignez-vous pas que cela soit un peu rébarbatif pour des gens qui ne s’y connaissent pas forcément sur le sujet ?
Le livre rentre dans une collection très formatée, c’est vrai, et moi, il me fallait bien ces 450 pages pour développer le sujet. Après, on pourrait imaginer d’autres formats, le décliner…
Mais oui, il y a des chances que les gens qui l’achètent soient déjà sensibles au sujet. Après, au-delà de ce livre, le sujet de l’alimentation durable est vraiment un enjeu quotidien, donc une personne de plus convaincue, c’est toujours ça !
Avez-vous observé une évolution des comportements sur la question de l’alimentation durable depuis la création de “Mange, Lille !” ?
Le problème, c’est qu’on est dans un microcosme, vous comme moi. Les gens qu’on rencontre nous ressemblent un peu et sont plutôt sensibles à la question, donc moi j’ai l’impression que ça bouge, mais je me méfie un peu. Ce n’est pas la réalité, je pense qu’il suffit d’aller passer une après-midi dans un supermarché pour s’en rendre compte.
Le réchauffement climatique aujourd’hui, tout le monde en a entendu parler. Après, il y a ceux qui s’en foutent, et ceux qui n’ont pas les moyens, qui ont d’autres choses prioritaires à penser que bien se nourrir. Mais ça, c’est à nos gouvernements de s’en saisir.
Quel serait le levier alors, pour que l’accès à l’alimentation durable se généralise ?
Le seul levier à mes yeux, c’est que l’alimentation soit enseignée à l’école, c’est aussi important qu’apprendre l’anglais ou les tables de multiplication. Beaucoup font des classes vertes, mais il faut que ça aille bien au-delà ! Ce que fait Camille Labro, avec l’école comestible, est remarquable, mais ça devrait être au programme de l’Éducation Nationale !
Pour être plus conscient de ce que vous mettez dans vos assiettes, l’Encyclopédie de l’alimentation durable de Marie-Laure est à découvrir ici.
Les recos de Marie-Laure :
L'association Vrac, créée par Boris Tavernier, qui oeuvre pour l'accès à une alimentation saine et bio pour les personnes en difficulté. Ce sujet est développé dans l'ouvrage Ensemble pour mieux se nourrir, récompensé par le prix Mange Livre 2021.
Le chef Alexandre Gauthier m’inspire beaucoup : je trouve que c’est quelqu’un de vraiment singulier dans sa cuisine, dans son approche du restaurant, son lien à la nature…