Léna Balacco, restauratrice militante
Il y a quelque temps, je me suis rendue à Saint-Jean-de-Luz pour aller tester Etxe Nami, le génial restaurant tenu par la non moins géniale Léna Balacco. Avec la cheffe Kanako Makino, elles élaborent une cuisine délicate d’inspiration japonaise, portée par les produits basques.
Surtout, elles véhiculent l’idée qu’une autre façon de se nourrir est possible, plus respectueuse de l’environnement, et plus durable.
Avec Léna, nous avons discuté de ce que signifiait se nourrir durablement aujourd’hui, de la philosophie d’Etxe Nami, des solutions à mettre en place, au sein comme en dehors de la restauration, et de son association, Blü Taula.
Hello Léna ! Parle-moi un peu de ton parcours, comment as-tu atterri ici, à Saint-Jean-de-Luz ?
Avant, j’étais restauratrice à Paris, je possédais trois restaurants, dont un gastronomique. Au bout d’un moment, c’est devenu compliqué de gérer tout ça avec ma fille, et j’ai eu envie de partir.
A l’époque, Gloria, une amie d’origine japonaise, m’avait proposé de créer un salon de thé artistique et culturel sur la côte basque. Après quelque temps de réflexion, je lui ai dit ok, mais à une condition : que l’on en fasse un restaurant, et pas un salon de thé.
A Paris, même si je faisais du mieux que je pouvais, je me sentais encore trop éloignée de mes convictions. C’est pour ça que j’ai eu envie de me rapprocher de la mer et de la campagne. Or le territoire basque est l’une des régions qui possède le plus d’appellations de produits de qualité.
J’ai donc rejoint Gloria, à Saint-Jean-de-Luz, en embarquant avec moi Megumi, la seconde de mon restaurant gastronomique à Paris. Ce fut elle la première cheffe d’Etxe Nami.
Etxe, ça veut dire “maison” en basque et “nami”, la vague. Etxe Nami, c’est donc “la maison sur la vague”.
Du coup, Etxe Nami est un mélange d’influences basques et nippones ?
Quand on s’est installées ici avec Gloria, elle a trouvé qu’il y avait une ressemblance entre le Pays basque et le Japon, que ce soit au niveau géographique, avec les falaises et l’océan, mais aussi en terme de folklore…
Moi, j’ai toujours adoré le Japon, à Paris toute ma brigade était japonaise, ma mère est fan du Japon, mon frère parle couramment japonais…
Et je suis évidemment amoureuse du terroir basque, donc cette double attirance a pris sens à travers une cuisine, irréprochable en termes de produits, et très délicate dans les saveurs.
J’avais aussi envie de vouloir transmettre aux gens le goût de la gastronomie japonaise, leur montrer qu’elle ne se résume pas qu’aux sushis et aux makis !
Comment travailles-tu avec les producteurs locaux ?
L’idée d’Etxe Nami, c’était de recréer à partir des produits du terroir basque et à l’aide de notre propre épicerie, des plats qui ont cette saveur “umami” japonaise.
Nous produisons toutes nos sauces maison - d’ailleurs Hélène Darroze est fan de notre sauce aux légumes ! Pour le poisson, nous travaillons avec Fagoaga, poissonnier aux Halles de Saint-Jean-de Luz, qui est au Collège Culinaire de France et bosse avec des petits bateaux de pêche. Nous avons de la truite d’ici, du thon, de la bonite, de la daurade quand il y en a… mais évidemment, pas de saumon !
Nous ne servons pas de poisson entier, mais des petites portions, à la japonaise, pour que les gens consomment moins, et on ne sert pas de viande du tout. Le miso que l’on utilise est français, on fabrique toutes nos boissons maison…
Bien sûr, il y a encore certaines choses que l’on est obligés d’importer, mais on essaie au maximum de travailler avec du fait maison, et du local. Ça prend du temps de faire bien, de chercher les bonnes personnes.
Ici, on a la chance d’avoir ce territoire auquel les basques font très attention, mais il y a plein de coins en France où c’est difficile de trouver les producteurs adéquats, qui peuvent livrer en petites quantités….
J’ai voulu créer une association car je suis bien consciente que tout le monde ne peut pas se permettre de venir manger chez Etxe Nami…et en même temps, je ne peux pas baisser les prix, sinon je ne paye plus mon loyer.
Justement, peux-tu me parler de cette association que tu as créé, Blü Taula ?
Nous l’avons créée en juin 2020, juste avant de sortir du confinement, avec Arnaud Leroux, qui possède la poissonnerie Maison Mer, à Cambo-les-Bains, et Camille Dhélin, l’un de mes anciens seconds. A travers Blü Taula, nous voulons revenir à une alimentation plus durable, telle que la pratiquait nos aïeux.
Nous avons une table d’hôtes associative, pour l’instant hébergée ici, chez Etxe Nami, grâce à laquelle nous échangeons en petit comité, autour des différentes manières d’aller vers une gastronomie plus durable et respectueuse de l’environnement.
Convaincre les gens, on le fait tous les jours au restaurant, mais nous n’avons pas toujours le temps. A travers ces déjeuners, c’est beaucoup plus simple de faire de la pédagogie.
Et il me semble que vous avez aussi un projet de forêt comestible… ?
Tout à fait, l’autre partie du projet, c’est une forêt comestible, que nous sommes en train de planter à 1h15 d’ici, à Abense-de-Bas, en Soule. A terme, nous aimerions créer là-bas une table d’hôtes autonome, et une épicerie solidaire à prix coûtant.
L’an dernier, nous avons planté une quinzaine d’arbres fruitiers, là nous allons planter les haies en novembre, et dans un mois nous allons planter une trentaine d’essences différentes, fruitières, mellifères, médicinales…
L’objectif est de pouvoir s’approvisionner en partie là-bas pour le restaurant. Bon, ça va prendre des années, c’est le projet d’une vie !
Comment faire, selon toi, pour arriver à se nourrir de façon plus durable à grande échelle ?
Pour moi, l’avenir, et la seule solution, c’est l’hyper local.
Avec la forêt comestible, on est dans cette initiative-là, mais nous ne sommes pas les seuls, de plus en plus de maraîchers font des déjeuners à la ferme, des ateliers de cuisine… La transmission des connaissances est très importante.
Avant tout, il faut savoir comment cuisiner. Nous avions organisé avec Mathieu Moity, du restaurant Zoko Moko, un atelier zéro déchet lors duquel il nous avait appris qu’avec le vert du poireau, on pouvait faire une émulsion, avec le blanc, des tronçons vapeur, les radicelles, des petites fritures à croquer à l’apéro… c’était extraordinaire ! C’est une vraie cuisine intelligente. A la fin, il ne restait quasiment plus rien pour le compost !
Tu as le sentiment que le Covid a initié une prise de conscience quant à la difficulté qu’il y a à faire les choses “proprement” quand on est restaurateur ?
Je pense que cela a mis en valeur certains dysfonctionnements, comme le sujet du compost, justement. En soi, c’est super de composter, mais je trouve que ce n’est pas à nous, en tant que restaurateurs, de payer pour que l’on traite nos déchets. D’autant plus lorsque l’on travaille en bio, et que l’on fournit des déchets verts hyper propres !
Chez Etxe Nami, nous avons quatre seaux de compost par semaine, c’est énorme ! Or, grâce à ça, les légumes pousseront mieux, c’est aberrant de devoir payer pour ça. Je le fais, bien sûr, mais ce n’est pas normal.
Après, ce que j’ai pu constater, comme beaucoup d’autres, c’est que le Covid a permis à certaines personnes dans la restauration de prendre du recul.
Les gens n’ont plus envie de travailler 70 heures par semaine. Moi, si je fais le rapport temps de travail / argent, je gagne environ 3€ de l’heure. Ce n’est pas possible.
Chez Etxe Nami, même en pleine saison, mon équipe ne travaille pas plus de quatre jours par semaine. Alors oui, je les paye un peu moins, mais de façon tout à fait décente, et ils ont le choix. Ce que je propose chez Etxe Nami, c’est d’avoir une vie.
Pour aller manger chez Etxe Nami, c’est par ici. Si vous souhaitez en savoir plus sur l’association Blü Taula, participer à un atelier culinaire, ou suivre l’avancement du projet de forêt comestible, rendez-vous sur le site de l’association.
Bon à savoir, Etxe Nami dispose aussi d’un corner boutique, dans lequel on retrouve de nombreux objets artisanaux et des produits locaux (dont les fameuses sauces !)
Les recos de Léna :
Je mange bien, ne t’en fais pas : quatre nouvelles autour de la gastronomie, écrites par quatre autrices japonaises, qui parlent avec beaucoup de poésie des plats et des émotions qui leur sont associés.
La Belle Verte, un film de Coline Serreau sorti il y a 25 ans, qui m’a beaucoup marquée. Vous comprendrez en le regardant !