Jacques Barreau, entrepreneur aventurier
Je suis tombée sur l’aventure Grain de Sail un peu par hasard, lors d’un weekend chez des amis à Nantes, en croquant du chocolat avec mon café. Différentes tablettes étaient posées pêle-mêle sur la table, et l’une d’elles, probablement à cause de son packaging illustré, m’a tapé dans l’œil. Par réflexe plus qu’autre chose, j’ai commencé à lire ce qui était écrit dessus, et j’ai immédiatement eu envie d’en savoir plus.
Quelques mois se sont écoulés avant que je ne contacte Jacques, l’un des deux co-fondateurs de Grain de Sail. Loin d’un discours marketing formaté, il m’a raconté comment était née cette idée un peu saugrenue, de ramener de l’autre bout du monde chocolat et café par voilier. Et de quelle façon, avec un peu d’organisation, un projet en apparence un peu utopiste, peut devenir visionnaire.
Bonjour Jacques ! Avant toute chose, qu’est-ce que Grain de Sail ?
L’aventure Grain de Sail est née en 2010, à Morlaix, en Bretagne, avec cette idée d’aller chercher du café et du chocolat à l’autre bout du monde, en limitant au maximum l’émission de CO2, grâce à un moyen de transport unique : le voilier-cargo.
Comment t’es venue cette idée ?
J’ai monté ça avec Olivier, mon frère jumeau. Nous venons tous les deux du monde des énergies renouvelables maritimes, et nous nous intéressions beaucoup à la question du transport. Il y a quelques années, Olivier avait rencontré un paludier, à Noirmoutier, qui souhaitait transporter son sel dans un vieux gréement et avait sollicité son avis. En l’occurence, le bateau était un peu vieillot, mais l’idée de faire du transport décarboné avec un voilier nous est restée.
Nous nous sommes dit que nous pourrions réfléchir à un voilier neuf, qui soit abouti et performant, doté de toute la technologie actuelle. L’idée de base est venue de là. Après, s’est posée la question de “qu’est-ce qu’on mettrait dans les cales de ce voilier ?” Nous avons réfléchi à quelles premières régulièrement importées venaient de loin, et, très vite, nous sommes tombés d’accord sur le café et le chocolat.
Enfin, plutôt que d’avoir à trouver des clients à qui revendre ce café et ce chocolat, nous nous sommes dit : “Pourquoi nous ne deviendrions pas nous-mêmes chocolatiers et torréfacteurs ?” De cette façon, nous maîtrisons la chaîne de valeurs jusqu’au bout, et en plus, nous sommes nous-mêmes clients de notre propre voilier !
C’est un projet colossal, puisque vous n’y connaissiez rien en chocolat et en café ! Comment vous y êtes-vous pris ?
Il a fallu se retrousser les manches ! La seule façon d’y arriver financièrement, c’était que la vente de chocolat et de café finance le voilier. Donc, dans un premier temps, nous avons mis le navire de côté, et nous nous sommes formés en chocolaterie et en torréfaction. En 2013, nous avons lancé les cafés, et en 2016, les chocolats.
Sur les packagings, nous expliquions notre démarche, nous disions que ces tablettes et ce café allaient nous servir à financer le futur voilier cargo qui transporterait les matières premières de façon décarbonée. Nous n‘avions pas d’autres choix que de commencer à importer de façon “classique”, avant de pouvoir décarboner le transport maritime.
Étiez-vous quand même déjà attentifs aux matières premières que vous sélectionniez ?
Oui, bien sûr, parce qu’indépendamment du maritime, nous savions que pour que le projet fonctionne, il fallait que nos cafés et nos chocolats soient irréprochables, tant en termes de goût, que sur le plan du développement durable. Dès le départ, nous nous sommes donc entourés de personnes à même de nous conseiller sur le sourcing des produits, les méthodes de travail et de rémunération des producteurs…
Mais le développement durable, c’est aussi le social, il ne faut pas l’oublier. Côté fabrication, nous avons donc travaillé dès le départ avec un ESAT, pour favoriser l’insertion professionnelle de personnes en situation de handicap.
Et donc finalement, en 2018, vous êtes à même de financer le premier navire Grain de Sail ?
Oui, Grain de Sail a fait sa première traversée transatlantique en novembre 2020 ! C’était dingue ! C’est un pur voilier, donc il est designé pour fonctionner essentiellement à la voile, le moteur n’est utilisé que pour les manœuvres d’appareillages. Il ne mesure que 24 mètres, ce qui lui donne l’avantage de pouvoir accoster dans des ports secondaires, qui n’imposent pas d’horaires d’arrivée fixes. Ce qui signifie que, quand on se retrouve en plein Atlantique avec une zone de vent faible, on attend, on ne met pas le moteur.
L’idée de Grain de Sail n’est pas d’optimiser le bilan carbone, mais de le flinguer. Sur ce navire, l’économie carbone est de 97 à 98%.
Comment se déroule une traversée “typique” ?
Rapidement, nous nous sommes dit que c’était dommage de traverser à vide vers l’Amérique Latine, donc nous avons eu l’idée de charger la cale avec des vins français bio, là aussi sourcés avec soin, que l’on transporte jusqu’à New York. Nous les commercialisons chez des restaurateurs et cavistes locaux à Brooklyn et Manhattan, afin que les bouteilles ne repartent pas en avion à l’autre bout des Etats-Unis, ce qui n’aurait aucun sens.
Puis nous mettons le cap sur l’Amérique Latine, où nous récupérons notre café et notre chocolat, et nous rentrons à Saint-Malo. En tout, nous mettons en général 3 à 5 semaines pour arriver à New York, et 3 à 5 semaines pour repartir sur Saint-Malo.
Aujourd’hui, quels sont les prochains axes de développement de Grain de Sail ?
Le second voilier est en construction et devrait être opérationnel fin 2023. Il sera deux fois plus grand et pourra transporter environ 350 tonnes. Le but, c’est de multiplier les navires et les sites de production, en restant toujours alignés sur les valeurs du développement durable. Nous allons également essayer de transporter d’autres produits, comme du rhum ou des huiles d’olive françaises, mais en gardant ce souci du sourcing, et en restant sur des produits certes plaisir, mais qui soient accessibles au plus grand nombre.
Quels principaux défis vous reste-t-il à relever ?
Nous aimerions vraiment parvenir à éliminer entièrement le plastique de nos packagings, mais c’est très compliqué. Le chocolat prenant toutes les odeurs, on ne peut pas le mettre directement en contact avec l’étui en carton, par exemple.
Nous avons réduit au minimum la quantité de plastique de nos emballages, mais, hélas, pour l’instant, nous n’avons pas réussi à l’éliminer, sinon ce n’est plus étanche. Mais nous sommes en veille continue, nous cherchons sans cesse de nouvelles solutions et je pense que nous finirons par trouver !
Il faut être conscient que nous avons tous une empreinte environnementale et qu’il est de notre devoir de tout faire pour la réduire… Mais c’est ça qui est beau dans cette aventure : c’est sans fin, il y a toujours plus à faire !
Les recos de Jacques :
Agir pour le climat en famille de Pascale Baussant. Ce livre donne quelques règles de base pour agir vraiment concrètement pour la planète et le climat, et elle y mentionne Grain de Sail.
L’Odyssée, le biopic sur la vie du Commandant Cousteau. Au-delà des images superbes, ce film montre la prise de conscience progressive de Cousteau sur les enjeux environnementaux, c’est vraiment intéressant.
Et sinon, pour les amateurs de Bretagne, je recommande d’aller faire un tour au « Gouffre » à Plougrescant. Il faut y aller par vent de nord soutenu, et si possible à marée haute. Dans ces conditions, l’endroit se transforme en lessiveuse XXL !