Bénédicte et Julien, fumeurs artisanaux
C’est lors d’un séjour à Andernos-les-Bains, sur le Bassin d’Arcachon, que j’ai découvert Fumette. Derrière ce nom rigolo, se cachent deux drôles d’oiseaux : Julien et Benédicte qui, la trentaine passée, ont décidé de tout plaquer pour ouvrir leur fumoir à poissons artisanal. Il n’en fallait pas plus pour m’intriguer, et en novembre dernier, je me suis rendue dans leur atelier, pour les rencontrer.
Du travail colossal d’écaillage à la sélection pointue de pêcheurs, en passant par le challenge de se faire connaître auprès d’un public parfois peu réceptif aux problématiques de la surpêche, Julien et Bénédicte m’ont raconté les hauts et les bas de l’aventure Fumette. Une reconversion joyeuse et réussie, qui, je l’espère, vous donnera envie de suivre vos projets jusqu’au bout, même les plus fous !
Bonjour Julien, bonjour Bénédicte ! Pouvez-vous me raconter comment vous est venue l’idée de Fumette ?
Julien : Je suis né en Bretagne, mais je fréquente le Bassin d’Arcachon depuis que j’ai 4 ans. Tout petit déjà, je baignais dans l’univers de la mer, de la voile… Après une école de commerce à La Rochelle, j’ai épousé une fille du Bassin, et on est venus s’installer Bordeaux, puis à Lège, sur le Bassin d’Arcachon, il y a cinq ans. J’étais alors commercial pour diverses entreprises, mais j’avais toujours eu en tête de monter, un jour, un projet autour de la mer.
L’idée du fumoir est venue après un week-end en Bretagne chez des copains, où j’ai rencontré un jeune fumeur de poisson qui venait de s’installer. Ça m’a donné envie, et une fois de retour, je me suis dit “pourquoi ne pas créer ça ici, puisque ça n’existe pas encore !”
J’en ai parlé à un ami, qui m’a alors dit : « il faut que tu en parles à Bénédicte, elle a un projet similaire ! »
Bénédicte : Moi je suis originaire de La Rochelle, j’ai travaillé dix ans dans le marketing et la com à Bordeaux, notamment à la Cité du Vin. En parallèle, je tiens un blog de cuisine depuis 2008. Je suis très branchée gastronomie, produits du terroir… Je suis fan de poisson fumé, j’ai même écrit un livre de recettes à base de poissons et de fruits de mer ! Au fil des années, je me suis engagée de plus en plus sur les problématiques d’alimentation durable et locale.
J’ai profité de ma dernière grossesse pour changer de vie. Je voulais me reconvertir dans un projet de gastronomie durable sur les bords de Garonne, quand Julien m’a contacté. On a aussitôt accroché, et Fumette est né !
Quel est l’objectif de Fumette ?
Le but est de valoriser des espèces de poissons parfois considérées comme moins « nobles » par les consommateurs, à travers une pêche durable et locale. Le chinchard par exemple, est souvent un peu boudé sur l’étal du poissonnier, alors que fumé, c’est super bon !
C’est aussi encourager les consommateurs à une plus grande diversité dans la sélection des espèces consommées, afin de lutter contre la surpêche. En plus, la fumaison permet de conserver le poisson plus longtemps, et donc d’avoir une consommation plus raisonnée.
Avec 150g de mulet fumé, par exemple tu fais facilement un repas pour quatre, parce que le goût est puissant, donc tu en mets moins, ou tu cuisines autre chose avec.
Comment fonctionnez-vous avec les pêcheurs ?
On achète du poisson sauvage aux pêcheurs d’ici, on essaie de les motiver à aller chercher des poissons comme le mulet noir, qui souvent dévalorisé, en leur achetant le poisson un peu plus cher.
Quand un pêcheur ramène 400kgs de poisson, il va vendre 50-60kgs en direct à ses clients, et il amène le reste à la criée. Sauf qu’à la criée, il ne sait jamais quelle quantité il va pouvoir écouler exactement. Et plus il en a, plus les prix chutent.
Nous, on lui apporte une solution où on va pouvoir acheter son poisson au prix fort et le revendre sur une durée bien plus longue, donc ça lui garantit un revenu stable… et c’est aussi une façon de consommer du poisson différemment !
Est-ce que cela a été difficile de convaincre les pêcheurs locaux de travailler avec vous ?
Au début, ce n’était pas évident, on avait une liste de pêcheurs avec qui Julien avait déjà des relations, mais nous nous sommes vite rendu compte que tous avaient déjà leurs circuits de distribution, via des Amap ou des cabanes ostréicoles…Ils n’avaient pas besoin de nous pour mieux vivre, et nous, comme on débutait, on avait parfois un discours un peu naïf, on avait du mal à les convaincre.
Par exemple, au début, on refusait d’acheter et de fumer du bar en période de reproduction, parce que c’est une espèce surpêchée. Sauf que tous les pêcheurs avec qui on travaille nous on dit que, le bar, si tu ne le pêches pas quand il vient se reproduire sur les côtes, tu ne le pêches jamais !
Et ce n’est pas leur pêche à eux qui va impacter le stock global, car quand on pêche une femelle qui s’est déjà reproduit plusieurs fois à proximité des côtes, on fait bien moins de mal à l’espèce que les bateaux qui vont pêcher d’énormes quantités plus régulièrement, plus loin. Il a donc fallu affiner notre discours, revoir nos acquis.
In fine, on a les convaincus en leur faisant goûter les produits. Quand ils ont vu que ça n’altérait pas la qualité de leurs poissons, bien au contraire, le bouche-à-oreille s’est activé et, aujourd’hui, on fonctionne avec une dizaine de pêcheurs différents.
Comment avez-vous déterminé les critères de pêche ?
On s’est beaucoup inspiré de Poiscaille pour le cahier des charges, qui est assez exemplaire, et de l’ONG Bloom. Nous n’avons rien révolutionné, nous avons juste appliqué ces préceptes à la fumaison.
Tous les pêcheurs avec qui nous collaborons sortent à la journée, sur de petits bateaux de moins de 12 mètres, et pêchent à la ligne ou au filet droit. C’est-à-dire qu’ils encerclent le poisson et le sortent de l’eau directement, donc celui-ci ne végète pas dans son filet, il sort ultra frais.
C’est très important pour nous, car comme il n’y a pas de cuisson derrière, la matière première doit être hyper qualitative.
Vous ne travaillez aucun poisson d’élevage alors ?
Nous nous sommes vite rendu compte que ne dépendre que du poisson sauvage serait compliqué, car c’est très aléatoire. En revanche, on refusait absolument de faire du saumon, car il vient de loin, est très rarement bien élevé, et souvent surchargé d’antibiotiques. En plus, plein de gens en font déjà. Du coup notre seul poisson d’élevage, c’est de la truite bio, qui vient des Pyrénées, donc assez proche.
Et comment procédez-vous pour fumer le poisson, quelles sont les grandes étapes ?
Les pêcheurs nous amènent le poisson directement en bac de pêche, puis nous procédons à l’écaillage et au filetage, en chambre froide. Ça nous prend en général une matinée, c’est très long car nous ne sommes que trois !
Une fois que tout est levé en filets, on fait une croûte de sel sur le poisson avec du gros sel de l’île de Ré, qui vient enlever l’eau du poisson, ce qui permet de prolonger sa durée de vie.
Les durées de salaison sont très courtes, ça se compte en heures. Donc, dans la même journée, on procède à la salaison, puis au rinçage, et ensuite on le met en chambre froide de maturation. En fonction des espèces, il mature une nuit ou deux, puis on le met au fumage. On le fume à partir de sciure de bois de hêtre. En fonction de la taille et de l’espèce, le fumage dure entre 3 et 7 heures.
Ensuite, on le laisse maturer de nouveau, puis on désarête, on tranche en pavés, on le met sous vide, et on surgèle. Dans la mesure où il n’y a pas de cuisson du poisson avec la fumaison à froid, on est obligés de surgeler le poisson pour raisons sanitaires. on décongèle ensuite en fonction des commandes, et la date limite de consommation de 3 semaines commence.
Le seul point qui nous chiffonne encore est la mise sous vide : pour l’instant nous n’avons pas encore trouvé d’alternatives au plastique… mais on cherche !
Comment avez-vous fait pour trouver les recettes, savoir combien de temps fumer chaque espèce… ?
On a beaucoup tâtonné au début, on a appelé d’autres fumeurs, mais ils nous ont plutôt renseigné sur les machines à utiliser que sur les recettes ! Il y en très peu qui font du poisson sauvage, donc on s’est inspiré de ce qui se fait pour la truite et le saumon, et on a décliné. Mais il faut parvenir à trouver les bonnes durées de salaison, que ce ne soit pas trop salé, trop fumé….
En pratique, ce sont des milliers de tests et de produits ramenés à la maison où on te dit : « ah berk, je n’en veux pas, c’est trop fumé ! »
Après on aimerait bien essayer des essences de bois locales pour la fumaison, comme l’arbousier par exemple. Le pin, on a voulu tenter, mais tout le monde nous a dit de laisser tomber, car c’est trop amer.
Vous êtes passés de métiers « de bureaux », à des journées entières en chambre froide… Y a-t-il eu des moments où vous vous êtes dits que vous alliez laisser tomber ?
Ouh là là, oui ! Je me souviens très bien, par exemple, de notre premier Noël, où on ne s’attendait pas du tout à un tel succès, et je me revois à 22h le soir en train d’épiler de la truite, et éclater en sanglots parce que j’étais au bout ! Mais c’est un boulot super enrichissant. En trois ans on a énormément appris, et c’est très chouette d’être à deux, nous sommes très complémentaires !
La plupart des consommateurs savent désormais que les fruits et légumes ont des saisons, mais on sait moins que c’est aussi le cas pour les poissons. Avez-vous constaté un regain d’intérêt pour ces questions ?
En mer, la saisonnalité est difficile à appréhender car elle n’est pas la même dans la Manche qu’en Atlantique, par exemple. Ce ne sont pas les mêmes espèces, et la plupart sont des poissons sont des poissons migrateurs, donc c’est beaucoup plus opaque qu’on ne le pense. Nous-mêmes, on apprend tous les jours !
En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’on a de plus en plus de retours très favorables quant à notre démarche et nos engagements !
Les recos inspirantes de Julien et Bénédicte :
Poiscaille : ils font des box de produits de la mer 100% durables, leur démarche est très inspirante.
Le chef Alexandre Couillon, pour son travail assez dingue sur les poissons.
Vincent Reveleau, qui a monté Balade sur Chaland. Il est revenu dans son village d’enfance reprendre la production ostréicole familiale. Il retape de vieux chalands ostréicoles, sur lesquels il organise des balades sur le Bassin d’Arcachon. C’est quelqu’un de super authentique, à la fois pêcheur, restaurateur…
Pour goûter aux produits de Fumette, c’est ici. Et pour aller déguster leurs poissons sur place, rendez-vous à leur atelier, où une paillote dégustation vous attend chaque weekend de mai, et tous les jours d’été !