Aurélie Dupont, danseuse libre
Récemment, j’ai eu la chance d’interviewer Aurélie Dupont, ancienne danseuse étoile, et Directrice de la Danse de l’Opéra de Paris. Elle m’a reçue dans son bureau, niché dans les étages de l’Opéra Garnier. J’en suis ressortie une heure plus tard, sur un petit nuage, avec la conviction qu’il fallait absolument que je parle de cette rencontre dans Les Belles Personnes.
Aurélie Dupont fait partie de ces personnes rares, dont le parcours force l’admiration, parce qu’elles ont été jusqu’au bout de leur passion : petit rat de l’Opéra à dix ans, danseuse dans le corps de ballet à 16, étoile à 25, puis Directrice de la Danse de l’Opéra de Paris, tout juste un an après avoir fait ses adieux officiels à la scène.
Après une vie passée à danser, c’est avec un enthousiasme débordant qu’elle m’a parlé de son travail en tant que Directrice de la Danse, de la façon dont elle essaie de guider au mieux les danseurs, et des jeunes chorégraphes qu’elle prend un malin plaisir à dénicher.
Rencontre avec une femme passionnante, qui, malgré les contraintes de son métier, n’a jamais renoncé à sa liberté.
Bonjour Aurélie ! Vous avez fait toutes vos classes à l’Opéra de Paris : être danseuse étoile était-il un rêve de petite fille ?
A vrai dire, petite, je voulais être pianiste. J’ai découvert le piano lors des deux années où j’ai vécu aux États-Unis, entre 7 et 9 ans, et j’ai véritablement eu une révélation. C’était ça, mon rêve de petite fille. Mais pour différentes raisons, je n’ai pas pu exercer le piano, donc je me suis retrouvée à danser. Quand, petit rat, on m’a expliqué que l’idéal, c’était d’entrer dans la Compagnie de l’Opéra de Paris, puis de gravir tous les échelons jusqu’à devenir danseuse étoile, ça me semblait très loin. Et, finalement, à 25 ans, j’étais nommée.
J’ai voulu devenir étoile parce que j’avais envie de liberté. Et quand on est tout en haut, on est libre. Mon moteur, ce n’était pas d’être la meilleure, parce qu’il y a toujours quelqu’un qui danse mieux que vous, c’était de travailler plus qu’une autre, pour être libre.
Avez-vous ressenti pleinement cette liberté une fois que vous avez été nommée étoile ?
Ah oui ! Quand on est étoile, en tout cas sur les ballets classiques, cela signifie que l’on ne danse que les premiers rôles. Ensuite, c’est vous qui apportez votre petite touche personnelle pour jouer le rôle de Carmen, de la Belle au Bois dormant, de Giselle…. Il y a une forme de liberté dans le jeu, et c’est ça qui m’intéressait.
Pour être complètement libre d’exprimer des choses, j’ai beaucoup travaillé la technique, car c’est comme les mots, plus on en a, plus on s’exprime avec finesse. Pouvoir jouer la comédie, c’était ça que j’aimais. Un soir j’étais Carmen, le lendemain la Belle au Bois Dormant…
Aujourd’hui vous êtes passée de l’autre côté de la scène, en devenant Directrice de la Danse, comment s’est passée la transition ?
C’est un autre métier, j’ai dû acquérir d’autres compétences, comme le management, par exemple. Après, j’échange beaucoup avec Alexander Neef, le directeur de l’Opéra. Artistiquement, c’est quelqu’un qui aime prendre des risques, et qui me laisse en prendre.
L’avantage, c’est que j’ai vu entrer un par un les 154 danseurs de la Compagnie que je dirige aujourd’hui, j’ai donc pu observer leurs qualités, leurs défauts, et voir comment je pouvais les amener à progresser.
Parfois, quand ils sont jeunes, il y a une forme de pudeur, ils ne savent pas qu’ils “peuvent”. Mais moi, je vois qu’ils peuvent. Alors je leur donne des rôles à danser, certains se disent « ce n’est pas pour moi », mais finalement, ils me font confiance, ils les dansent, et ça leur apporte quelque chose, ils sont plus riches techniquement.
En fonction de quoi choisissez-vous les ballets que vous programmez ?
En fonction des danseurs, toujours, étoiles ou pas. Ce sont eux qui m’inspirent. C’est mon devoir de leur apporter des choses pour qu’ils grandissent et deviennent des artistes encore plus riches, encore plus ouverts sur toutes les formes de danses.
Dans mes choix artistiques, je pense toujours à eux. Il faut que le chorégraphe que j’invite arrive au bon moment dans la vie artistique du danseur, mais aussi dans sa vie d’homme ou de femme. Si cette rencontre arrive au bon moment, alors c’est magique.
Vous avez fait le choix d’ouvrir le répertoire de l’Opéra à de jeunes chorégraphes contemporains, pourquoi ce choix ?
L’Opéra de Paris est une si grande maison que ça parait évident d’avoir de grands noms de chorégraphes. Or je trouve que ma responsabilité en tant que Directrice de la Danse, c’est aussi d’inviter de jeunes chorégraphes, parfois méconnus du public parisien et des danseurs, mais dont je sais qu’ils ont du talent, parce que je connais mon métier.
Quand j’arrive à voir qu’il y a une petite pépite, que cette pépite, on m’autorise à l’inviter, et qu’à la fin, on se dit « Wahou c’est génial ! », que des années après, ils deviennent de grands chorégraphes ou des directeurs de compagnie, je me dis que ça, c’est le luxe suprême. C’est important de faire ça. Si l’Opéra de Paris ne le fait pas, qui le fera ?
Comment arbitrez-vous justement, entre les ballets classiques, qui sont l’essence de l’Opéra de Paris, et les ballets plus contemporains ?
J’ai tenu à maintenir l’héritage classique de l’Opéra de Paris car notre école de danse est une école de danse classique, donc des ballets classiques il en faut. Et puis les danseurs ont envie d’en danser, et le public a envie d’en voir.
Ceci étant dit, je trouve que cette génération de danseurs, qui a la vingtaine en 2022, a aussi envie de modernité. Ils ont envie de faire du ballet classique, mais aussi de rencontrer des chorégraphes vivants, qui les choisissent, eux. Quand on reprend des ballets classiques il n’y a pas de rapport direct, artistique et humain, avec le créateur.
Travailler avec un chorégraphe qui vous fait du sur-mesure, qui vous dit « Je t’ai choisi pour telle raison, je vois que tu as du potentiel, je vais t’aider à le sortir », cela fait véritablement grandir les artistes. Et pour être passée par là, je sais à quel point c’est une chance incroyable.
Comment faites-vous pour continuer à faire progresser des danseurs qui ont déjà un niveau très élevé ?
Contemporain et classique sont très complémentaires. J’encourage tous les danseurs à danser les deux, car ça ne s’oppose pas. Les danseurs ont fait énormément de progrès dans la technique contemporaine, et on y est allés par étapes. Maintenant, j’aimerais qu’ils aient droit à la parole. Il y a beaucoup de chorégraphes qui demandent à ce que les danseurs fassent un peu d’acting. Donc en décembre prochain, il y aura une pièce avec un peu de jeu d’acteur.
Et tout ce travail-là, de les amener au jeu et aux mots, va les faire progresser, sans qu’ils s’en aperçoivent, sur la façon de jouer la pantomime dans un ballet classique, où pour le coup ils n’auront plus droit à la parole. Parce que le texte sera dans leur tête, cela se reflétera dans leur gestuelle.
Je pense que c’est ma façon de diriger parce que j’ai été danseuse étoile, et que j’essaie de leur transmettre ce qui m’a aidé, moi. Mais honnêtement, ils sont tellement tout terrain, et ont tellement envie d’apprendre plein de choses, c’est génial !
Comment faites-vous pour ouvrir la Compagnie à des danseurs qui sont issus de milieux plus éloignés de l’opéra ?
Nous sommes justement en train de travailler là-dessus. J’ai très envie de sortir de Paris, d’aller parler de nos métiers avec les danseurs. Il y a beaucoup de danseurs de l’Opéra qui ont envie de s’impliquer, cela fait de nombreuses années que j’ai envie de le faire, donc je suis ravie. Aller donner des cours de danse, voir des talents en tout genre, ça fait partie de mon programme, et ça va commencer bientôt, je pense.
Si vous pouviez sortir les danseurs de l’Opéra pour les faire danser n’importe où, où iriez-vous ?
Ah j’adore cette question ! Peut-être au Grand Palais éphémère, ou au Louvre. Moi, j’adore voir la danse dans les musées, j’adore voir la danse quand on peut bouger.
Parce que finalement, la danse on la voit toujours de la même façon, on est assis et on regarde en face de soi. De pouvoir bouger autour d’un artiste, se reculer, s’approcher… j’adore. Un peu comme quand on va voir de la peinture, on peut se rapprocher pour mieux observer.
Sinon, peut-être dans le Jardin des Tuileries, avec le Louvre et la Pyramide en fond, ce serait fou ! Pour 2024, pour les JO !
Les recos d’Aurélie :
Le spectacle de Wim Vandekeybus avec le Ballet Rambert au Châtelet m’a beaucoup plu. Les danseurs étaient fantastiques, mêlant danse, technique, théâtre, tout ce que j’aime. J’ai eu le plaisir de rencontrer le chorégraphe le lendemain, et c’était une très belle rencontre.
Le peintre Serge Labégorre, que j’ai découvert lors d’un weekend à Bordeaux. Nous avons passé 1h30 à parler d’art et de culture, il m’a montré son incroyable atelier. Depuis, j’ai deux toiles chez moi, et si je pouvais, j’en achèterai davantage.
Le chorégraphe Fernando Melo, j’adore son univers, j’aimerais bien travailler avec lui, ce qu’il fait est super ! Imre Van Opstal aussi, elle est danseuse au Nederlands Dans Theater, j’aime beaucoup sa façon de bouger.